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Crise des valeurs occidentales

La corruption du système libéral et l’éveil des peuples d’Afrique

Au fil des dernières décennies, le monde a vu s'imposer un modèle économique et politique façonné par les dogmes du néolibéralisme occidental. Promettant prospérité, démocratie et paix sociale, ce système s’est présenté comme l’aboutissement indiscutable de l’évolution des sociétés humaines. Pourtant, ses contradictions internes et ses dérives profondes ont érodé sa légitimité, jusqu’à provoquer une contestation croissante, notamment en Afrique.

De l’origine du système libéral

L'origine du système libéral en Afrique est intimement liée à l’histoire de la colonisation, aux indépendances politiques et à l’influence occidentale sur les États africains postcoloniaux.

L’origine du système libéral en Afrique est exogène : il a été introduit par la colonisation, renforcé par la coopération postcoloniale et consolidé par les institutions internationales. Ce modèle reste dominant mais contesté, car il ne permet pas toujours de répondre efficacement aux défis de développement, d’équité et de souveraineté du continent.

La pénétration coloniale

Avant la colonisation, la plupart des sociétés africaines fonctionnaient selon des systèmes communautaires, où les terres, les ressources et la production étaient gérés de manière collective ou traditionnelle.

Avec l’arrivée des puissances coloniales européennes (France, Royaume-Uni, Portugal, Belgique, etc.), les structures socio-économiques traditionnelles ont été bouleversées :

La privatisation des terres au profit de l’administration coloniale ou des colons

La privatisation des terres au profit de l'administration coloniale ou des colons désigne un processus par lequel les autorités coloniales ont transformé des terres traditionnellement communautaires ou coutumières en propriétés privées, généralement confisquées au profit de l'État colonial, de ses agents ou de colons européens. Ce processus s'est déroulé à travers plusieurs mécanismes, souvent imposés de force, dans le but de contrôler, exploiter et rentabiliser les ressources foncières des territoires colonisés. Voici les principales caractéristiques de cette privatisation :

  1. L’expropriation des terres autochtones

    Les terres occupées et utilisées par les populations locales selon des droits coutumiers ont été déclarées "terres vacantes et sans maître" (ou similaires) par l'administration coloniale, sous prétexte que l'absence de titres écrits prouvait l'absence de propriété.

    En Afrique occidentale française (AOF), les décrets coloniaux ont souvent assimilé les terres non mises en valeur selon les standards européens (cultures permanentes, clôtures, etc.) à des terres « sans maître ».

  2. La création d’un régime foncier colonial

    Les colonies ont institué des cadastres et des titres de propriété calqués sur le droit occidental, excluant ou invalidant les formes de propriété collective ou coutumière.

      1. Cela a permis de légaliser la cession de grandes surfaces aux colons pour l’agriculture (plantations, élevage), l’exploitation minière ou forestière.

      2. Les terres les plus fertiles ou stratégiques ont ainsi été appropriées par des colons ou des sociétés européennes.

  3. Attribution de concessions
    L’administration coloniale a concédé d’immenses superficies à des sociétés privées, souvent pour des durées très longues, avec peu ou pas de compensation pour les communautés locales.

    Au Congo belge, des millions d’hectares ont été concédés à des entreprises belges pour la culture du caoutchouc ou l’exploitation minière.

  4. Utilisation de la terre comme instrument de domination

    La terre a servi d’outil de contrôle social et économique : priver une population de sa terre signifiait l’assujettir à la colonisation, la forcer à travailler pour les colons ou à payer des impôts.

    1. L’accès à la terre pouvait être conditionné à la soumission à l’autorité coloniale ou au travail forcé.

     

  5. Conséquences sociales et culturelles

    1. Déstructuration des systèmes traditionnels de gestion des terres.

    2. Dépossession des communautés rurales, marginalisation des autochtones dans leur propre espace.

    3. Apparition d’un prolétariat rural sans terre, contraint de migrer ou de travailler dans les exploitations coloniales.

    4. Conflits fonciers persistants après l’indépendance, dus à l’héritage de ces politiques de privatisation forcée.

La privatisation des terres coloniales a été un instrument fondamental de la domination impérialiste, visant à transférer les ressources foncières des mains des peuples autochtones vers les acteurs économiques européens (colons, sociétés, administration). Ce processus a profondément modifié les structures sociales, économiques et culturelles des territoires colonisés, avec des effets qui se font encore sentir aujourd’hui.

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La monétarisation de l’économie locale (introduction du franc CFA, du shilling, etc.)

La monétarisation de l’économie locale désigne le processus par lequel les échanges économiques, initialement fondés sur le troc ou sur des formes de monnaies traditionnelles (coquillages, tissus, métaux, bétail, etc.), sont progressivement remplacés par l’usage d’une monnaie officielle émise par une autorité centrale. Ce processus a profondément transformé les sociétés africaines, notamment à l’époque coloniale, avec l’introduction de monnaies telles que le franc CFA en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, ou encore le shilling en Afrique de l’Est.

Objectifs de la monétarisation

  1. Faciliter les échanges commerciaux, notamment à plus grande échelle, au-delà du cadre local ou tribal.

  2. Intégrer les économies locales dans l’économie monétaire mondiale dominée par le capitalisme.

  3. Permettre la collecte des impôts en monnaie et rémunérer les services publics ou administratifs.

  4. Favoriser l’investissement et l’épargne dans des institutions financières formelles

La monétarisation a souvent été imposée ou accélérée par les puissances coloniales, qui souhaitaient :

  1. Créer une économie de marché adaptée à leurs intérêts.

  2. Mobiliser une main-d'œuvre salariée pour les grandes plantations, les travaux publics ou l’extraction minière.

  3. Instaurer un système fiscal permettant de financer l’administration coloniale.

Introduction du franc CFA, du shilling, etc.

  1. Le franc CFA (Colonies Françaises d’Afrique) est introduit en 1945 par la France dans ses colonies africaines pour stabiliser les économies locales et les intégrer à l’espace monétaire français. Il est devenu, après les indépendances, une monnaie commune à plusieurs pays africains sous deux zones : l’UEMOA et la CEMAC.

  2. Le shilling, quant à lui, est utilisé dans plusieurs colonies britanniques d’Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda, Tanganyika, etc.) et s’est perpétué dans certains États indépendants.

Conséquences de la monétarisation

  1. Transformation des structures économiques locales, avec un recul progressif des économies de subsistance.

  2. Dépendance accrue vis-à-vis des systèmes économiques extérieurs (colonial, puis mondial).

  3. Émergence d’une classe salariée et d’une élite administrative rémunérée en monnaie officielle.

  4. Inégalités sociales nouvelles, liées à l’accès différencié à la monnaie, au crédit, aux banques.

Enjeux contemporains

Aujourd’hui, la question de la souveraineté monétaire reste centrale en Afrique, notamment dans les débats sur la réforme ou la sortie du franc CFA. De nombreux pays envisagent ou expérimentent des monnaies alternatives ou numériques, tout en poursuivant l’objectif de renforcer l’intégration régionale par des monnaies communes plus adaptées aux réalités économiques africaines.

 

L’introduction de l’économie de marché selon le modèle capitaliste libéral

L’économie de marché selon le modèle capitaliste libéral repose sur une organisation économique fondée sur la liberté des échanges, la propriété privée des moyens de production et le rôle central du marché pour réguler l’activité économique. Voici les principaux fondements et caractéristiques de ce modèle :

  1. Propriété privée
    1. Les biens de production (entreprises, usines, terres, capitaux) appartiennent à des individus ou des entreprises privées, et non à l’État.

    2. Le droit de propriété est garanti : les propriétaires sont libres d’utiliser, de vendre ou de transmettre leurs biens.

  2. Libre entreprise et initiative individuelle
    1. Tout individu ou groupe peut créer une entreprise dans le but de faire du profit.

    2. La réussite économique repose sur l’innovation, le travail, la compétitivité et la prise de risque.

  3. Marché libre
    1. Les prix des biens et services sont fixés par la loi de l’offre et de la demande, sans intervention excessive de l’État.

    2. Les marchés (travail, capitaux, biens) fonctionnent de manière décentralisée.

  4.  Concurrence
    1. Les entreprises se livrent à la concurrence pour attirer les consommateurs.

    2. La concurrence est considérée comme un moteur d’efficacité, d’innovation, de baisse des prix et d’amélioration de la qualité.

  5. Recherche du profit
    1. Le but principal des entreprises privées est la maximisation du profit.

    2. Le profit est aussi vu comme la récompense de la prise de risque et un signal d’efficacité économique.

  6. Intervention minimale de l’État (État minimal)
    1. L’État n’a pas pour rôle de diriger l’économie, mais d’établir un cadre juridique (droit de propriété, contrats, lois commerciales) et de garantir la concurrence loyale.

    2. Dans sa forme la plus pure (libéralisme classique), l’État ne doit ni subventionner, ni réglementer excessivement les activités économiques.

  7. Mobilité des facteurs de production
    1. Le capital, le travail et les biens doivent pouvoir circuler librement sans entraves (barrières douanières, restrictions administratives, etc.).

  8. Rôle de la rationalité individuelle
    1. Les agents économiques (consommateurs, producteurs, investisseurs) sont supposés agir de manière rationnelle, en cherchant à maximiser leur utilité ou leur profit.

Avantages mis en avant par les défenseurs du capitalisme libéral :

  1. Croissance économique rapide

  2. Stimulation de l’innovation

  3. Allocation efficace des ressources

  4. Liberté individuelle

Critiques fréquentes :

  1. Inégalités sociales croissantes

  2. Risques d’abus de pouvoir économique (monopoles, oligopoles)

  3. Crises économiques cycliques

  4. Dégradation de l’environnement

  5. Faible prise en compte de l’intérêt général ou des biens communs

L’économie de marché capitaliste libérale fonctionne comme un système autorégulé, où les acteurs économiques sont libres, responsables, et motivés par le profit, dans un environnement de concurrence et de règles juridiques minimales édictées par l’État.

La mainmise sur les ressources naturelles par des entreprises européennes.

Depuis la fin des empires coloniaux, de nombreuses anciennes puissances européennes ont su maintenir, voire renforcer, leur contrôle sur les ressources naturelles des pays du Sud. Ce contrôle ne s'exerce plus à travers des administrations coloniales, mais par le biais d’un capitalisme mondialisé, dans lequel les grandes entreprises européennes – souvent adossées à leurs États – jouent un rôle central. Pétrole, minerais, forêts, terres agricoles, eau : ces richesses sont devenues l’enjeu d’une compétition féroce, où les rapports de force penchent clairement en faveur des multinationales.

1. Des contrats inéquitables aux concessions abusives

Les entreprises européennes accèdent aux ressources naturelles grâce à des contrats souvent négociés en toute opacité. Ces accords concèdent des droits d’exploitation sur de longues durées, avec des avantages fiscaux importants, et parfois des clauses de stabilité interdisant toute renégociation, même en cas de changement de législation. Ces pratiques contribuent à un véritable pillage organisé, où les retombées pour les États concernés sont minimes.

2. Un monopole technologique et logistique structurant

La domination ne se limite pas à l’extraction : elle s’étend à toute la chaîne de valeur. Les multinationales contrôlent les technologies de prospection, les infrastructures de transformation et d’exportation, ainsi que les circuits commerciaux mondiaux. Elles imposent ainsi les conditions de production, les prix et les destinations des ressources, laissant aux pays hôtes un rôle subalterne.

3. Le coût environnemental et social externalisé

L’exploitation massive des ressources naturelles par les entreprises européennes engendre des dégâts écologiques majeurs : déforestation, pollution des eaux, érosion des sols, perte de biodiversité. Ces atteintes environnementales s’accompagnent de violations des droits humains : déplacements forcés, violences communautaires, précarité des emplois locaux. Les populations affectées sont rarement consultées ou indemnisées.

4. L’évasion fiscale comme système de prédation

Les bénéfices issus de l’exploitation sont souvent détournés via des mécanismes d’optimisation fiscale : prix de transfert, paradis fiscaux, sous-facturation. Ce système prive les États de revenus essentiels pour le développement, tout en consolidant la fortune des maisons mères européennes.

5. Un outil d’influence sur les politiques nationales

Grâce à leur puissance économique, les multinationales influencent directement les politiques publiques. Elles font pression pour le maintien de cadres réglementaires favorables, le recul des normes environnementales, et l’octroi de nouvelles concessions. Cette influence s’exerce également dans les enceintes internationales, où elles bénéficient d’un soutien diplomatique appuyé.

6. Des mécanismes juridiques protecteurs pour les entreprises

Les traités bilatéraux d’investissement et les accords de libre-échange intègrent souvent des clauses qui protègent les intérêts des entreprises contre toute décision politique qui pourrait affecter leurs profits. Le recours aux tribunaux arbitraux privés permet aux multinationales de poursuivre les États qui chercheraient à remettre en cause leurs privilèges, même pour des raisons de souveraineté ou d’intérêt public.

7. Exemples emblématiques de mainmise

  1. Orano (ex-Areva) au Niger : exploitation de l’uranium dans la région d’Arlit pendant près de 50 ans, sans véritable transfert de richesse ni amélioration durable des conditions de vie locales.

  2. Bolloré Africa Logistics : contrôle stratégique des ports, chemins de fer et corridors logistiques en Afrique de l’Ouest, influençant directement les flux de matières premières.

  3. TotalEnergies : projets pétroliers et gaziers controversés (Mozambique, Ouganda), avec des impacts socio-environnementaux alarmants.

 Vers une gouvernance plus équitable des ressources

La mainmise des entreprises européennes sur les ressources naturelles soulève des enjeux fondamentaux de souveraineté, de justice sociale et de durabilité. Les États du Sud doivent renforcer leur capacité de négociation, adopter des cadres juridiques solides et transparents, et promouvoir une gouvernance des ressources axée sur l’intérêt général. La société civile et les institutions régionales ont également un rôle crucial à jouer pour inverser la logique de domination et bâtir un partenariat plus équitable avec les acteurs étrangers.

L’indépendance et l’illusion du choix

À partir des années 1950-1960, les pays africains accèdent à l’indépendance. Mais ce processus s’accompagne de plusieurs réalités :

  1. Modèles politiques et économiques calqués sur ceux des anciennes métropoles ;

  2. Élites formées dans les pays occidentaux, souvent acquises aux principes du libéralisme politique et économique ;

  3. Pressions des institutions internationales (FMI, Banque mondiale) pour adopter le libre-échange, la propriété privée et la démocratie représentative comme fondements de l’État moderne.

Les années 1980-1990 : l’imposition du néolibéralisme

La véritable bascule vers un libéralisme économique radical s’est opérée avec les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) imposés par le FMI et la Banque mondiale :

  1. Privatisations massives des entreprises publiques ;

  2. Réduction du rôle de l’État dans les secteurs sociaux ;

  3. Déréglementation et ouverture totale aux marchés mondiaux ;

  4. Favoritisme pour l’investissement étranger au détriment de l’économie locale.

Ces réformes ont souvent conduit à une déstructuration des économies nationales, une montée du chômage, et un affaiblissement des États africains dans leur capacité à protéger les plus vulnérables.

 Le libéralisme aujourd’hui : entre dépendance et alternatives

Aujourd’hui, le système libéral reste dominant en Afrique, sous deux formes principales :

  1. Libéralisme politique : élections multipartites, libertés individuelles (souvent fragiles ou formelles).

  2. Libéralisme économique : libre entreprise, promotion du secteur privé, rôle marginal de l’État.

Cependant, de plus en plus de voix africaines (intellectuels, économistes, mouvements sociaux) dénoncent :

  1. La persistance des rapports de domination Nord-Sud ;

  2. Le caractère inadapté du modèle libéral aux réalités africaines ;

  3. L’urgence d’un modèle alternatif fondé sur la souveraineté économique, la solidarité et la justice sociale.

Les peuples africains, longtemps considérés comme des acteurs périphériques du système mondial, manifestent aujourd’hui une volonté claire de rupture avec les dépendances économiques, les simulacres démocratiques, les ingérences étrangères et les injustices héritées du passé. L’heure est à la reconquête de la souveraineté, à la refondation du développement et à l’émancipation intellectuelle.

Un système en crise : les dérives du libéralisme

Le libéralisme économique, fondé sur la libre concurrence, la dérégulation et la limitation de l’État, a produit des effets pervers bien connus : concentration des richesses, fragilisation des services publics, financiarisation de l’économie au détriment de la production réelle. La démocratie libérale, quant à elle, a été vidée de sa substance dans de nombreux contextes, devenant le terrain d’une oligarchie mondialisée.

En Afrique, cette dynamique a été encore plus marquée, car combinée à des institutions fragiles, à des élites souvent inféodées à des intérêts extérieurs, et à des mécanismes de domination postcoloniale. Les multinationales se livrent à un pillage des ressources sous couvert d’accords juridiques asymétriques. Les aides conditionnées, les plans d’ajustement structurel et les privatisations ont affaibli la capacité de l’État à orienter le développement.

Une mémoire encore vive : colonialisme, spoliation et injustices durables

On ne peut comprendre l’éveil actuel des peuples africains sans revenir sur les traumatismes du colonialisme. Celui-ci n’a pas seulement imposé une domination politique : il a orchestré un système de prédation économique, d’asservissement physique et de déshumanisation culturelle. Le travail forcé, les impôts arbitraires, la confiscation des terres, l’exploitation des ressources minières et agricoles ont servi les métropoles, laissant les sociétés africaines exsangues.

Les indépendances n’ont pas mis fin à ce système. Le néocolonialisme s’est poursuivi par d’autres moyens : maintien du franc CFA, accords de défense, contrôle des filières d’exportation, dette publique contractée dans des conditions iniques. Les structures économiques extraverties, les modèles éducatifs eurocentrés et la dépendance technologique sont les héritages directs de cette histoire.

La question des réparations : entre justice et souveraineté

Face à cette histoire lourde de conséquences, la revendication de réparations devient centrale. Il ne s’agit pas uniquement de transferts financiers, mais d’un processus global de reconnaissance, de justice et de reconstruction. Les réparations doivent répondre à trois impératifs :

  1. Reconnaître les crimes historiques (esclavage, colonisation, massacres, pillage économique) à travers des excuses officielles, des programmes éducatifs et des commémorations institutionnelles.

  2. Restituer : les biens culturels volés doivent revenir aux pays d’origine, les ressources financières indûment prélevées doivent être restituées, les dettes illégitimes annulées.

  3. Réparer structurellement : par le soutien à la réindustrialisation africaine, le transfert technologique, la renégociation des accords de coopération et l’accompagnement de projets africains autonomes.

Vers un projet africain de gouvernance ?

L’éveil des peuples africains n’est pas une simple révolte contre l’ordre établi : c’est une tentative de construire une alternative. Cette gouvernance africaine repensée pourrait s’articuler autour de piliers clairs :

  1. Souveraineté économique : valorisation des ressources locales, protection des marchés stratégiques, soutien à l’innovation et à la transformation locale.

  2. Démocratie participative : implication des citoyens dans la gestion publique, transparence, lutte contre la corruption.

  3. Justice sociale : accès équitable aux services de base (éducation, santé, eau), réduction des inégalités et inclusion des populations marginalisées.

  4. Intégration et coopération Sud-Sud : pour renforcer les capacités collectives et sortir de l’isolement diplomatique et économique.

L’Afrique est à un tournant historique. Le rejet du système libéral tel qu’imposé n’est pas un caprice idéologique : c’est la traduction d’un besoin de dignité, de justice et de maîtrise de son destin. Le passé colonial, les spoliations, les humiliations et les compromissions doivent faire l’objet d’un traitement politique sérieux. Les réparations, matérielles et symboliques, sont une étape indispensable pour reconstruire la confiance entre les peuples et les nations.

L’avenir ne réside ni dans le mimétisme, ni dans l’isolement, mais dans l’invention d’un modèle africain, enraciné dans les valeurs, les mémoires et les aspirations de ses peuples. Ce modèle est à bâtir avec lucidité, rigueur, et une haute exigence morale. Car l’éveil des consciences africaines n’est pas seulement un cri : c’est un projet.

Adapter le système libéral aux réalités africaines : entre tradition, culture et souveraineté

Depuis les indépendances, le continent africain s’est engagé — souvent sous pression — dans la voie du libéralisme politique et économique. Ce choix, loin d’être pleinement assumé ou maîtrisé, a été imposé par les anciennes puissances coloniales, les institutions financières internationales et les dogmes de la mondialisation. Aujourd’hui, cette orientation soulève une interrogation cruciale : le système libéral est-il adapté aux réalités africaines ? Si tel n’est pas le cas, comment le réinventer pour qu’il épouse les fondements culturels, sociaux et civilisationnels du continent ?

Un modèle importé, non enraciné

Le libéralisme repose sur une philosophie fondée sur l’individu : liberté personnelle, propriété privée, concurrence, État limité. Ce modèle, issu de l’Europe post-révolutionnaire, a été progressivement introduit en Afrique par la colonisation. L’économie de marché, la monétarisation, les codes juridiques occidentaux, les institutions représentatives et les droits individuels ont remplacé ou marginalisé les structures communautaires et coutumières.

Après les indépendances, la majorité des pays africains ont conservé cette architecture institutionnelle, sans réelle réforme de fond. Les années 1980 ont marqué un tournant avec l’application brutale des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS), qui ont achevé de désengager l’État africain de ses fonctions sociales au nom de l’efficacité du marché.

 Le choc des valeurs : individualisme contre solidarité

Ce modèle libéral entre en friction directe avec les valeurs traditionnelles africaines :

  1. Les sociétés africaines sont fondamentalement communautaires. La famille élargie, le village, le clan sont les unités de base de la solidarité, bien avant l’individu.

  2. Le foncier est, dans de nombreuses régions, un bien collectif inaliénable, attribué par les chefs coutumiers selon des logiques de préservation et de transmission.

  3. La sagesse ancestrale valorise le consensus, la palabre, la médiation, plutôt que la confrontation partisane ou judiciaire.

  4. Le pouvoir est perçu non comme un outil de conquête personnelle, mais comme un service sacré au bénéfice du groupe.

Ainsi, l’adoption d’un système fondé sur l’intérêt personnel, la libre concurrence et la primauté des droits individuels provoque de profondes dissonances. Elle engendre une perte de repères, une fragmentation des liens sociaux, et souvent un rejet silencieux des institutions modernes perçues comme étrangères.

Une gouvernance économique et politique inadaptée

L’architecture libérale appliquée sans discernement a produit plusieurs effets délétères :

  1. Privatisation sans régulation : les entreprises publiques, parfois inefficaces, ont été cédées à des intérêts privés, souvent étrangers, sans bénéfices réels pour les populations locales.

  2. Affaiblissement de l’État : les services sociaux de base ont été sacrifiés sur l’autel de l’austérité, creusant les inégalités.

  3. Démocratie formelle : le multipartisme a été introduit sans ancrage culturel, générant des divisions ethniques et des crises de légitimité.

Le système libéral, tel qu’il est appliqué, ne tient pas compte des réalités historiques, anthropologiques et culturelles africaines. Il s’ensuit un rejet croissant des élites politiques accusées d’être les relais d’un modèle néocolonial.

Pour un libéralisme enraciné : pistes de reconfiguration

Loin d’un rejet pur et simple du libéralisme, il s’agit de l’adapter, de le repenser à partir de l’Afrique elle-même. Quelques pistes :

1. Reconnaître les formes locales d’économie solidaire

Les tontines, mutuelles villageoises, coopératives agricoles et réseaux familiaux d’entraide constituent des bases solides pour un capitalisme africain à visage humain. L’économie de marché ne doit pas exclure la solidarité.

2. Protéger les biens communs

La terre, l’eau, les forêts et les ressources naturelles doivent être régulées par des mécanismes hybrides, associant les autorités coutumières, l’État et les communautés. La logique de privatisation pure est inapplicable à des ressources vitales et culturellement sensibles.

3. Démocratiser sans déraciner

Les mécanismes électoraux doivent être enrichis par des traditions africaines de gouvernance participative : assemblées villageoises, conseils de sages, rôle consultatif des chefferies. L’ancrage démocratique doit être culturel, non seulement institutionnel.

4. Revaloriser les savoirs et les valeurs africaines

L’éducation, les médias et les politiques culturelles doivent réhabiliter les langues, les récits, les pratiques sociales et les référents philosophiques africains. L’individu africain moderne ne peut se construire sans mémoire ni identité.

 Vers un modèle africain de gouvernance

Le véritable enjeu n’est pas l’abandon du système libéral, mais sa réconciliation avec l’âme africaine. Il s’agit de bâtir un modèle de développement souverain, enraciné et équilibré, qui tienne compte des acquis du libéralisme (libertés, innovation, responsabilité) tout en y intégrant les valeurs africaines de solidarité, de respect de l’ordre naturel et de justice sociale.

Ce processus demande du courage politique, de la créativité intellectuelle et une volonté collective de sortir de l’imitation pour entrer dans l’innovation. L’Afrique, forte de ses civilisations, n’a pas vocation à suivre. Elle a vocation à inspirer.

 

5 République au Togo 

 Un exploit démocratique et un tournant identitaire assumé

 

Avec l’adoption de la Cinquième République en avril 2024, le Togo réalise un exploit démocratique majeur en mettant fin aux violences électorales récurrentes et en réorientant ses institutions vers la paix et le développement. Cette réforme incarne également un tournant identitaire profond, affirmant un modèle politique ancré dans les valeurs culturelles africaines et offrant une alternative crédible aux crises persistantes en Afrique de l’Ouest.

Le 19 avril 2024, le Togo a inscrit une nouvelle page de son histoire politique avec l’adoption d’une nouvelle Constitution, instaurant la Cinquième République. Ce changement marque un exploit démocratique pour un pays qui a longtemps connu des tensions électorales, des réformes contestées et des mutations institutionnelles douloureuses. Mais au-delà du changement de régime, c’est toute une philosophie politique nouvelle, enracinée dans les réalités culturelles africaines, qui émerge et pourrait inspirer une réflexion régionale.

Un processus politique jalonné de tensions et de maturation

La Cinquième République n’est pas apparue ex nihilo. Elle est le fruit d’un long cheminement :

  1. 1967 : prise de pouvoir par le Général Gnassingbé Eyadéma après un coup d’État militaire.

  2. 1992 : adoption de la Constitution de la IVᵉ République, introduisant le multipartisme et la limitation des mandats.

  3. 2002–2005 : suppression des limitations, succession dynastique et crises post-électorales.

  4. 2010–2020 : montée des revendications populaires, exigeant des réformes démocratiques structurelles.

  5. 2019 : révision constitutionnelle limitant à nouveau les mandats, mais sans effet rétroactif.

  6. 2023–2024 : réforme parlementaire préparée par le pouvoir, adoptée par les députés, instaurant un régime parlementaire.

Ce parcours démontre une évolution progressive vers une forme de stabilité institutionnelle, fondée sur le compromis et la recherche d’un équilibre plus représentatif.

Une rupture avec les violences électorales et une réorientation vers le développement

La Cinquième République a introduit un mode de désignation indirect du président de la République, par les députés, remplaçant l’élection au suffrage universel direct. Cette réforme a clairement mis fin à la spirale des violences électorales qui ont marqué les décennies précédentes. Le cycle répétitif des scrutins tendus, coûteux, parfois sanglants, a été remplacé par un fonctionnement parlementaire plus apaisé.

Ce changement structurel permet aussi une réallocation stratégique des ressources publiques. Les fonds autrefois mobilisés pour sécuriser ou organiser des élections contestées peuvent désormais être affectés à l’éducation, à la santé, aux infrastructures, à l’emploi des jeunes. Le Togo affirme ainsi une priorité nouvelle : le développement avant la division politique.

Une réappropriation africaine de la démocratie

Ce nouveau modèle ne se contente pas d’être plus efficace : il est aussi plus en phase avec les valeurs africaines de gouvernance. Il consacre la concertation, la responsabilité partagée, et la légitimité construite dans le dialogue — des principes que l’on retrouve dans les systèmes traditionnels africains de gestion du pouvoir.

Loin d’être un recul démocratique, cette réforme peut être lue comme une avancée vers une démocratie contextualisée, enracinée, qui respecte les fondamentaux de la République tout en s’appuyant sur des logiques culturelles locales : sagesse, consensus, stabilité communautaire.

Le rôle du législateur et de la Cour Constitutionnelle dans la mise en œuvre

Le succès de la Cinquième République repose sur une coopération étroite entre le législateur et la Cour Constitutionnelle, deux institutions clés.

Le législateur

  1. A adopté la nouvelle Constitution qui institue le régime parlementaire.

  2. A modifié les lois électorales et organiques pour assurer la cohérence institutionnelle.

  3. Exerce un contrôle politique renforcé sur le gouvernement, garantissant la responsabilité démocratique.

  4. Favorise le dialogue institutionnel et politique pour maintenir la stabilité.

La Cour Constitutionnelle

  1. Valide les élections parlementaires, garantissant la légitimité démocratique.

  2. Contrôle la conformité des lois à la Constitution.

  3. Arbitre les conflits institutionnels pour préserver la séparation des pouvoirs.

  4. Protège les droits fondamentaux inscrits dans la nouvelle Constitution.

  5. Interprète les dispositions constitutionnelles pour une application harmonieuse.

Ensemble, ces institutions assurent la stabilité, la légalité et la légitimité démocratique du nouveau régime.

L’adhésion de la population au projet de la Cinquième République

La réussite d’une réforme constitutionnelle majeure repose avant tout sur l’acceptation et la participation active de la population. Au Togo, l’adhésion populaire au projet de la Cinquième République s’est manifestée de plusieurs manières :

  1. Consultations et débats publics : Avant l’adoption de la nouvelle Constitution, le gouvernement et les acteurs politiques ont organisé des campagnes d’information et de sensibilisation pour expliquer les enjeux du changement institutionnel, favorisant ainsi une appropriation collective.

  2. Implication des partis politiques et de la société civile : Bien que le processus ait été principalement conduit par la majorité parlementaire, plusieurs partis politiques, organisations sociales et leaders d’opinion ont pris part aux discussions, exprimant leur soutien ou proposant des ajustements, ce qui a renforcé la légitimité du projet.

  3. Acceptation par référendum indirect : Le choix d’un régime parlementaire avec élection indirecte du président de la République a été présenté comme un compromis destiné à réduire les tensions liées aux élections présidentielles. Cette formule a trouvé un écho favorable chez une partie significative de la population, lassée par les conflits électoraux répétés.

  4. Réduction visible des violences post-électorales : Depuis l’instauration de la Cinquième République, l’absence de violences électorales majeures a été perçue comme un signe tangible que ce nouveau modèle politique répond mieux aux attentes des citoyens en termes de paix et de stabilité.

  5. Optimisme autour des priorités sociales et économiques : En recentrant la gouvernance sur le développement, la population semble accueillir positivement la perspective de voir les ressources publiques orientées vers l’amélioration des conditions de vie, ce qui accroît la confiance dans les institutions.

Cela dit, des défis demeurent, notamment sur la nécessité de renforcer le dialogue politique, d’élargir la participation citoyenne et d’assurer une transparence constante dans la gouvernance. Toutefois, la dynamique actuelle montre que le projet de la Cinquième République bénéficie d’une adhésion réelle et constitue une base solide pour construire un avenir démocratique apaisé et prospère.

L’investiture du Président du Conseil

Avec l’instauration de la Cinquième République, le rôle exécutif est désormais confié au Président du Conseil, chef du gouvernement, qui incarne la responsabilité politique devant le Parlement. L’investiture de ce Président du Conseil constitue une étape essentielle pour assurer la légitimité et la stabilité du nouveau régime parlementaire.

Le processus d’investiture se déroule selon les étapes suivantes :

  1. Proposition du candidat : Le chef de l’État désigne un candidat au poste de Président du Conseil, généralement issu de la majorité parlementaire.

  2. Examen parlementaire : Le candidat présente son programme devant les députés, mettant en avant les priorités de son gouvernement et sa vision politique.

  3. Vote de confiance : L’Assemblée nationale vote pour approuver ou rejeter la nomination. Le candidat doit obtenir la majorité absolue des voix pour être investi.

  4. Prise de fonction : Une fois investi, le Président du Conseil forme son gouvernement et engage immédiatement la mise en œuvre de ses engagements.

Cette procédure garantit que le chef du gouvernement bénéficie d’un soutien majoritaire clair au Parlement, ce qui est un gage de cohérence politique et de stabilité institutionnelle.

Par ailleurs, l’investiture permet également au Parlement d’exercer un contrôle effectif sur l’exécutif, renforçant ainsi la responsabilité démocratique et la transparence.

Au-delà de la simple formalité, l’investiture du Président du Conseil est donc un moment symbolique et politique fort, marquant la concrétisation du nouveau régime et la mise en œuvre du changement promis par la Cinquième République.

Une inspiration pour l’Afrique de l’Ouest en crise

Vingt ans après l’ouverture démocratique dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, le bilan reste largement non évalué. Les modèles importés n’ont souvent pas été adaptés, et dans de nombreux cas, ils ont montré leurs limites : coups d’État, présidences à vie, manipulations constitutionnelles, effritement de la confiance populaire, crise des institutions représentatives.

Dans ce contexte troublé, le modèle togolais offre une alternative crédible : un changement de régime sans rupture brutale, un retour au calme sans renoncement à la souveraineté populaire, une réforme constitutionnelle qui ne cherche pas à flatter mais à stabiliser. C’est là une piste sérieuse pour l’Afrique de l’Ouest, appelée à redéfinir ses trajectoires démocratiques selon ses propres réalités.

Loin de s’enfermer dans un mimétisme institutionnel hérité, le Togo propose une forme de démocratie plus organique, plus enracinée, qui pourrait servir de socle à une réflexion régionale sur les options démocratiques véritablement viables, c’est-à-dire en adéquation avec les valeurs culturelles et sociales africaines.

L’adoption de la Cinquième République au Togo constitue un exploit démocratique et une rupture stratégique assumée. Elle représente à la fois une réponse aux dérives électoralistes, une volonté de pacification nationale, et une affirmation d’un modèle politique africain, apte à répondre aux aspirations contemporaines des citoyens.

Dans un environnement régional en quête de solutions durables à ses crises politiques, le Togo ouvre un chemin audacieux et peut-être précurseur. Ce chemin mérite d’être suivi, étudié, et adapté — non pour reproduire, mais pour s’inspirer : bâtir une démocratie qui nous ressemble et nous rassemble.